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Ultra trail du Tour des Cirques (122km) : Grand Raid des Pyrénées 2019

Ultra trail du Tour des Cirques (122km) : Grand Raid des Pyrénées 2019

Pierre Guilbaud nous fait un « petit » CR de son aventure.

Bonne lecture. Excusez les fautes qui émaillent ce récit. Si vous allez au bout vous comprendrez que j’ai eu la flemme de me relire. Franchement un texte comme ça, c’est aussi long qu’un Ultra.

Introduction

Quels sentiments m’habitent au moment d’écrire ces lignes ? Je ne sais pas exactement. Peut-être celui du devoir accompli. C’est particulier d’atteindre un rêve. Était-ce vraiment un rêve d’ailleurs ? J’ai commencé le trail en m’intéressant avant tout à la nature ; puis sont venues les grandes épreuves. Les épreuves médiatisées d’abord : UTMB, Diagonale des Fous, Templiers. Et avec le RAPV les autres : UTPMA, Transaubrac, Hospitaliers, Grand Raid des Pyrénées… Et puis quand on arrive dans cette asso, il y a 5 ans, on côtoie qui donc ? Nicolas Pavageau, Sébastien Gauvrit, Sébastien Rocheteau, Sam Gonnord, Michel Ducept, Guillaume Jourdain… autant de références sur ces courses longues distances que l’on appelle Ultratrails. UTMB, Diag, ils les ont tous fait. Et dans quelle mesure ! S’il vous plaît. J’aime bien répéter à l’envie que des mecs comme ça (et j’en oublie), ce sont des athlètes de haut niveau. Des top 100, des tops 50, etc. Pour en avoir discuté avec un autre grand malade des exploits démesurés (JC Renaud), on a beau dire, ce sont des exploits qui alimentent les rêves. Jusqu’où un rêve peut-il être vécu ? Certains s’en sont brûlés les ailes, se prenant pour Icare. Les étapes ont été franchis trop vite.

Mais devenir un Ultratraileur m’habitait. A présent je n’arrive pas à m’expliquer pourquoi. Peut-être parce que j’ai réussi et que cela m’a donné une forme de confiance en moi. J’y accorde beaucoup moins d’importance à présent. C’est fait. Du coup je m’excuse de dévoiler ainsi la fin du film, de « spoiler » la fin de l’histoire. Oui j’ai réussi. Mais plus que le but à atteindre, dans cette histoire, le plus important reste le chemin qui m’a permis de l’atteindre.

En venir au GRP

Prenons les choses dans un certain ordre. Les aléas et les joies de la vie m’ont fait mettre la course au second plan. Mais en concertation avec Angéline, je me suis fixé quelques objectifs. Le premier était le marathon de la Rochelle en novembre dernier, tremplin psychologique vers le grand objectif, le Tour des Cirques, 120km et 7000 mètres de dénivelé positif dans les Pyrénées en août. L’objectif était d’acquérir une vitesse et une endurance intéressante avant les Pyrénées. 3h30 annoncées, 3h56 réussies. Entre nous l’objectif était certainement trop ambitieux et le temps réalisé plus en lien avec mes capacités. Mais cela m’a permis de comprendre de nouvelles choses, de nouveaux ressorts psychologiques. Pendant longtemps je me suis interrogé voire insurgé. Comment des athlètes qui ont la chance de courir des épreuves de prestiges peuvent abandonner si facilement, quand il n’y a aucune blessure grave ? Il suffit pour cela de s’entrainer durement pour atteindre un objectif difficile, de s’infliger des séances de VMA et de seuil ou la douleur côtoie parfois le dégout, puis de courir et voir son objectif s’éloigner peu à peu, puis définitivement. Finalement c’est la présence d’Angéline sur le parcours du marathon qui m’a permis d’en venir à bout. Voilà ! Ca c’est un bout du chemin.

Tout le monde porte un dossard chez les Guilbaud. Course ou rando, il y en a pour tous les gouts sur l’Aquaterra.

David, 5ème ! Ca mérite une bonne bière… ou deux.

Retenue d’eau de Bort les Orgues

La suite de la saison fut balisée par des réussites (l’enchainement du 14 nocturne du Poiré et du 21 du lendemain) et jonchée de trails peu reluisants (le 32 du Père Noël aux Herbiers). J’ai ensuite coupé assez longtemps pour ne pas arrivé cramé au GRP, comme cela m’était arrivé lors des Hospitaliers en 2017. Cette année pas de lassitude. Il a fallu s’entrainer un peu pour commencer la prépa en forme. La préparation du Vendée Raid a bien sur marqué la saison. Et puis prenant conseils, écoutant mes illustres aînés, je me suis inscrit sur l’Aquaterra (70km 3300D+) le 13 juillet en compagnie (et sur conseil) de David Luttiau (110km). « Tu verras c’est roulant. Ca va t’obliger à courir. » Alors l’Aquaterra c’est un évènement particulier. Randonnées 5, 6, 12, 25km ; swim and run 5, 16, 25km, trail 5, 12, 25, 46, 70, 110km. Et pourtant… nous n’étions que 77 sur le 70km, et 59 à le finir. Roulant non, mais pour apprendre sur soi-même, pour gérer la solitude, gérer son effort, c’est top. J’ai vraiment apprécié ce trail, et pas seulement parce que je suis parti avec mes parents. Flashback nostalgique de vacances en famille 15 ans plus tôt. En tout cas je l’ai fini en 12h42, 50ème. David réussi l’exploit énorme de le boucler en 14h36 et de le finir 5ème. Voilà de quoi engranger de la confiance avant de commencer la préparation physique.

Préparation Physique

La préparation physique se déroule durant les vacances. Pas trop d’abus mais je n’ai pas fait du tout attention à ce que j’ingurgitais. En revanche la vie de famille a été quelque peu perturbée. Il faut bien être enseignant pour avoir de quoi enquiller 7 semaines de préparation sans être au travail. Cela me permet de m’interroger sur les personnes qui réussissent à enchainer vie professionnelle (travail et travail à la maison), entrainements et à avoir une vie de famille épanouie. Comment faites-vous ? Je sais que c’est pour cela que j’ai choisi le GRP et pas une autre course. L’Endurance Trail des Templiers semblait plus « simple » à côté. 100km au lieu de 122 et 5300m de dénivelé positif au lieu de 7500. Bref. Tout cela pour dire que ma petite femme n’a pas vécu les vacances qu’elle aurait souhaité. Moi non plus d’ailleurs. La passion du trail a des limites. J’aime bien courir, mais j’adore également ne rien faire, ne pas programmer, me goinfrer et boire sans me soucier du lendemain. Pour autant, malgré quelques doutes naissant parfois de performances décevantes, de comparaisons douteuses lors des entrainements face aux copains qui vont plus vite et plus fort alors qu’ils ne font pas 120km (Olivier Le Cornec, Yohan Bourrieau, Sylvain Barreteau, vous m’avez bien fait douter), la préparation s’est déroulée sans accrocs. Pas même une petite blessure. C’est bien la première fois. Le programme concocté par Herr Doktor Jourdain était une fois de plus parfait.

Vacances tronquées

Première barrière horaire raté en rando. La route du col du Portet fermée, nous décidons son ascension à pieds. Grave erreur !

Routine du RAPV d’avant course

Après quelques randos en famille la semaine précédent la course, voici venue l’heure. Jusqu’à la veille, la tension m’habitait. Oh pas pour grand-chose. Michaël Bouyer était également tendu. Il nous fallait passer tous deux par notre routine. Une fois le dossard retiré et le matériel inspecté par l’organisation, tout allait bien mieux. Une petite bière pour se détendre et échanger nos sentiments et impressions et voilà que nous nous retrouvons à héberger Guillaume Chaudet. Le pauvre Guillaume a réservé un logement à Saint Lary, et non pas à Saint Lary Soulans. 1h50 de route. Voilà comment ôter toute tension ; s’occuper des tensions d’un autre. Je le comprends l’ami Guillaume. Premier trail de montagne (le Néouvielle 43km 2700D+), venu seul, ne connaissant pas les lieux ni le parcours et se retrouvant à des heures de son logement. Nous allons à pieds reconnaitre son lieu de départ (45’ de marche aller-retour).

Routine, routine

Le soir il me faut encore bousculer un peu ma routine d’avant course. C’est la première fois que je fais un sac de base de vie. Je me sens serein, même si rétrospectivement, à certains de mes gestes (tocs ?) je remarque qu’il doit y avoir un peu de tension. En effet, une fois le sac prêt, je me vois sortir du logement pour l’emmener ; revenir en arrière après 30m dans la rue ; retirer toutes mes affaires de course prévues pour le lendemain (de l’autre sac que je m’étais préparé) afin de vérifier à nouveau si j’ai bien tout. Pourtant je me sens très détendu.  Allez comprendre ça. Bon je passe sur la nuit qui, comme à chaque veille de course, ne fut pas franchement bonne, cumulée avec celle de la veille lorsque ma fille décida de faire la java. Peu de sommeil donc avant de me diriger vers le départ de Piau Engaly le vendredi 23 août à 10h.

Départ, tension, pleurs

C’est en compagnie d’Angéline, Mathilde et mes beaux-parents que j’arrive à Piau. Nous avons une bonne heure d’avance (toujours pour éviter le stress). J’essaie de deviner le début du parcours. Le sac est prêt, le bonhomme aussi. Je me tartine de crème solaire (à savoir que je déteste me mettre de la crème solaire), petit passage aux toilettes (non éclairées) et nous sommes fin prêts. Mais la tension est bien présente. Je m’effondre en larmes dans les bras d’Angéline. Je pleure de longues minutes en silence. Je n’ai pas envie de laisser derrière moi ma femme et ma fille. Une fois ce moment passé, je me dirige dans l’aire de départ. Je retrouve Michaël Bouyer, Sébastien Gauvrit et Régis Guého du Jogging club du Poiré. Petite photo. Nous échangeons des banalités deux trois vannes. Je dois certainement leur redire qu’ils vont devoir galoper pour me rattraper. A quelques instants du départ, je me retourne vers en Angéline et je pleure à nouveau comme une madeleine. Michaël me rappelle la citation de Churchill : « I have nothing to offer but blood, toil, tears and sweat. » (« Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, du travail, des larmes et de la sueur », discours devant la chambre des communes le 13 mai 1940). Michaël me dit : « Voilà, tu as eu le travail, tu viens de faire les larmes, je ne te souhaite pas le sang mais tu auras la sueur ». Effectivement c’est fait.

Régis me dit de me mettre dans ses pas pour la première ascension dans Piau. Le départ est lancé. Je me décale vers la gauche pour voir Angéline, Mathilde, Gérard et Maryline. Je perds Régis de vue. Je me lance donc à sa poursuite dans la petite descente. Arrivé dans ses pas au pied de l’ascension je lui lance un petit : « C’est bon Régis je suis là ! » 30 mètres plus tard je suis déjà largué. Inutile de chercher à s’accrocher comme une tique. Je lance mon aventure. Je savais que ce serait une aventure solitaire. Pas de surprise. Je cherche tout de même François Brianceau du regard. Je sais qu’il est là mais où ?

Piau – Piau

La première ascension est avalée par le peloton à un rythme effréné. Les pulsations sont constamment dans le rouge. Et pourtant je mesure réellement toute mon allure afin de ne pas me brûler. Je constate de quelques arrêts sur le côté pour d’autres coureurs. Je vois d’autres « gros » comme moi (deux autres en fait). La bascule se fait et le début de descente est très prudent. Mais rapidement la course se lance en descente. Je croise un vendéen, spectateur, qui me lance : « Allez le RAPV ! Tiens tu n’as pas fait le départ à fond aujourd’hui ? » Piau 1h39 (46’ d’avance sur les barrières horaires), premier ravito. Je revois la famille. Le repas comme chaque ravito va se constituer pour ma part de Tucs, jambon sec (quand il y en a), fromage, saucisson, eau gazeuse et eau, soupe quand il y en a. Une recharge en eau de mes 2,5L d’eau pour affronter la suite. Il fait chaud et j’ai préviens de tout ce qui pourrait m’arriver : déshydratation, mauvaise alimentation, manque d’eau avant le ravitaillement… Donc j’essaie de bien manger et surtout du salé pour retenir l’eau.

Port de Campbiel, toit du GRP

Ascension du Port de Campbiel, sommet de la course à 2596m. Deuxième passage à plus de 2000m d’altitude après l’ascension de Piau. Le début est simple mais se corse rapidement. Les concurrents sont nombreux à s’arrêter sur le côté. Moi-même j’éprouve une envie très forte de m’arrêter. C’est tout de même très raide. Trop raide. Allez, je m’arrête au lacet suivant. Mais là pas une belle pierre pour poser ses fesses. Bon allez, lacet suivant. Bon le suivant alors… Plus de 20 lacets plus tard, me voilà au sommet. Quelques photos et c’est parti pour 10km de descente. Sur les conseils de David Luttiau, je sais que c’est « Piano, piano, celle là elle détruit les quadri ! » Guillaume Jourdain me l’a rappelé sur Wattsapp quelques jours avant. Alors qu’il se trouve au fin fond de l’Amérique du sud il pense à m’envoyer des messages d’encouragement. Merci Guillaume. Bref tout le monde s’en méfie. Début très raide et cassant. Certains courent mais je me trouve derrière un gars qui craint également cette descente. Nous marchons gentiment. Je vais finir par le doubler à la faveur d’un passage de ruisseau. Je mouille la casquette et comme c’est moins raide, je déroule un peu (petits pas petits pas). Nous sommes à présent dans le parc national des Pyrénées et c’est très beau. Je rattrape ceux qui couraient dans le début de la descente. Ils sont un peu fatigués. Puis en fonction de la pente je vais alterner marche et course.

Gèdres 5h39 de course (1h21 d’avance sur les BH).

J’arrive à Gèdre à sec d’eau depuis 3km je crois. J’ai hésité à remplir les flasques dans les torrents de montagne. Mais ce serait trop bête d’arrêter une aventure de 122km au 2àème parce que j’ai mal au bide. A Gèdres nous devons remonter la piste de luge d’été pour la redescendre. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est vraiment bête. Sans être speed, j’essaie d’être relativement efficace lors du ravitaillement, tout en prenant le temps de me reposer un peu. C’est un équilibre délicat à trouver. Je pense que sur la majeure partie des ravitaillements je vais passer environ ½ heure.  Déjà je suis rassuré. Les barrières horaires s’éloignent, sans pour autant que je fasse des efforts démesurés. Je repars de Gèdre, trouvant sur mon chemin un ancien logement de vacances d’hiver. L’ascension que j’entame me mène au lac des Gloriettes. Je trouve de plus en plus de concurrents arrêtés sur le côté. C’est dur pour tout le monde mais je me sens vraiment bien dans cette partie. Je trouve cette partie de parcours moins exigeante, moins de pourcentages élevés. Et cette partie est vraiment belle. Je mitraille de photos. Le lac des Gloriettes est vraiment beau. Il donne sur cette belle vallée qui plonge vers le cirque d’Estaubé. Magnifique vallée. Le terrain me convient bien. Depuis Gèdre j’ai doublé pas mal de monde. Je commence à fatiguer un peu. Me retrouvant dans la Hourquette d’Alans je discute avec deux gars de Rado 79 qui sont accompagné par le fils de l’un d’eux depuis le lac des Gloriettes. Je recommence à en baver dans cette ascension. C’est vraiment dur. Je suis rentré dans cette vallée, me dirigeant vers un cirque, en me demandant : « Mais par où sort-on de là ? » Les Pyrénéens sont des grands malades. « Il n’y a pas de chemin ici ? Ce n’est pas possible de créer un sentier ? Et bien on va le faire. »

Hourquette d’Alans. La coquine

Sommet de la hourquette d’Alans

Je viens du bas. De tout en bas.

Hourquette d’Alans passée, on se retourne sur soi pour les couleurs du coucher de soleil.

Brèche de Roland. Ca veut dire que le cirque de Gavarnie n’est pas loin.

Du coup j’aperçois ce qui semble être la sortie de temps en temps. Fourbu, je pense m’arrêter mais je m’imagine un nombre de lacets à parcourir (10) et je me lance de plus belle. Bon finalement j’en ai compté 12 avant d’arriver en haut. L’ascension a été rythmée par une évacuation en hélicoptère d’un concurrent. Arrivée en haut, je fais quelques photos. Je dois signaler que depuis le lac des Gloriettes nous sommes dans une partie qui ne voit pas le soleil. Et au sommet, hop, comme par magie nous revoyons enfin le soleil. C’est quand même particulièrement beau. Je commence à songer à la tombée de la nuit. Cette partie particulièrement ardue pour moi m’a laissé un peu à plat. J’engage la descente et me refait un peu la cerise. Je relance, je cours, pour arriver au refuge d’Espuguette. Le froid me saisit. Je passe un nouveau maillot, enfile les manchons. Pas suffisant. Je mets la veste. La soupe chaude fait du bien une fois de plus. Tout le monde semble bien entamé. J’entends parler d’abandon autour de moi. Je repars, bien décidé à voir de jour le cirque de Gavarnie. Raté. La nuit tombe sur ces sentiers qui me correspondent mieux. Je cours. J’éprouve une telle joie de pouvoir atteindre les 6km/h. ET puis 7, puis 8, puis 9,3 et 10 et… et non. Pas plus et pas longtemps. Je reste entre 7 et 9km/h. Les passages avant le cirque semblent majestueux. Je ne peux que le deviner de nuit mais la roche est creusée là où nous passons. J’imagine la falaise au-dessus avec le ruissellement de l’eau et je vois la falaise à ma droite qui descend de façon vertigineuse vers l’abysse. Les passages humides sont très glissants. Prévenus, avec un autre concurrent nous blaguons un peu de cette situation périlleuse. Nouvelle relance pour atteindre l’hôtellerie du cirque. 11h48 de course. J’ai franchi les 40 premiers kilomètres en 10h pile poil. Le timing est bon. La descente vers Gavarnie est un vrai plaisir. Je déroule calmement, sans forcer. Je double encore pas mal de monde.

Ravitaillement de Gavarnie, km50, 12h20 de course (2h10 de marge sur les BH)

« La navette est là ». C’est à ces mots que je suis accueilli. Pas mal d’abandons ici. Nous rejoignons les coureurs du 220km, partis jeudi matin. Je commence à regarder le portable en mangeant. Les messages facebook et sms sont sympa. Je prends le temp de regarder où en sont mes copains Seb et Micka. Seb est au ravito suivant avec Micka. Ils galopent bien. Il n’y a que 10 bornes entre nous, soit entre 2 et 3h. Je joins Angéline. La nuit me réussit bien et je pense qu’il va faire chaud demain. Je suis à nouveau en t-shirt. Autant dire des conditions idéales. Je me relance en espérant atteindre Luz pour m’y reposer (22km et environ 1200D+ à parcourir). Le parcours est toujours agréable mais la fatigue se fait sentir. De retour à Gèdre les cuisses sont raides. Je discute avec un gars.

  • Ha tu viens de Vendée ?
  • Oui
  • Moi aussi. Ca va toi ?
  • Oui impeccable. Et toi ? (question à ne plus poser)
  • Oh j’ai mal aux jambes. Je ne suis plus dans le rythme. J’abandonne. J’attends la navette.
  • Ah mince. Attends je vais chercher du salé….

Et voilà. Je m’en suis éloigné comme d’un pestiféré. J’essaie d’éviter au maximum les idées noires qui assaillent ceux qui abandonnent. Je suis vraiment en forme. Le moral n’est pas touché ni quoique ce soit mais ne prenons pas de risques. Je repars vers Luz en espérant une ballade de santé. Le début est simple mais m’attendent la montée d’Arrode et celle de la croix de Sia. Arrode ! 404m de dénivelé à 20% de moyenne. Error 404 ! C’est une vraie galère. Je fatigue. On n’en voit pas le bout. De nuit en forêt, on pense arriver au bout et non. Les passages avec des chaines me montrent que les 20% que j’ai calculé ne sont qu’une moyenne. Première pause. J’éteins la frontale. 3’ je repars. Deuxième pause. L’endroit à l’air sympa. J’ai mal aux pieds. Il est temps d’écouter maitre Luttiau. Changement de chaussettes avec la crème Nok. Je prends bien le temps de dérouler mes petites chaussettes. R (right) à droite. L (left) à gauche. Je mets mon vieux maillot sous la tête. Allume le portable pour la énième fois. Je règle 15’ et j’éteins la frontale. Les concurrents passent ; Je les entends. Certains me demandent si ça va. Oui oui je fais une sieste. Finalement je repars avant le réveil. Je vous passe la fin de cette galère. La croix de Sia est grimpée (la croix et la bannière). Je redescends vers Luz Saint Sauveur avec un autre concurrent. Un peu atteint j’arrête de courir en descente. Nous loupons les balises dans Luz et faisons quelques centaines de mètres en plus. Heureusement c’est une ville que je connais très bien et je sais où se trouve le ravitaillement.

Base de vie de Luz (70km 4224D+ de faits), 19h58 de course (2h30 avant les BH)

Je brasse un peu d’air. Le sac de vie. Je reviens aux toilettes. Je retourne à mon sac. Je vais me changer aux toilettes. Je vais me faire masser. Le dos me fait peur. Juste une petite alerte comparée à mes cuisses et mollets très durs. Mais c’est ma priorité. Puis cuisses et mollets justement. A ce moment là je m’aperçois que la chaussette droite se trouve à gauche et inversement. J’ai bien fait d’y faire très attention au moment de les mettre. Et puis je vais dormir dans la pièce sombre. Lit de camp et couverture sont au rdv. Réveil dans 29’. J’ai bien du dormir 15’. On entend les passages mais le silence est respecté. Puis ravitaillement. Départ au bout d’une heure trente-sept. Luz sortie : 21h35 de course soit 1h25 d’avance sur les BH.

Je suis un homme neuf. Plus de douleurs (enfin pas trop quoi), vêtu de propre, massé, ayant dormi et mangé (plus un besoin à assouvir), je me lance au petit matin dans Luz. J’appelle Angéline, puis mes parents. Répondeur sur le téléphone de Fred. C’est parti pour plus de 18km d’ascension entrecoupés par le ravito de Barèges et celui du refuge de la Glère. Sur le chemin de Barèges je rencontre Franck Rambaud. Il est sur le 220 et c’est un collègue de mon frère. Il va bien le bougre. Nous terminons ensemble en discutant jusqu’à Barèges. Ce sont des paysages de montagnes joli mais bien moins beau (à mon avis) que ce que nous avons traversé jusqu’alors.

Barèges 80km 4927D+ 23h56 de course (2h30 d’avance sur BH)

Je retrouve Angéline. Ça fait vraiment très plaisir de la revoir. C’est doublé d’un autre plaisir. Les soins ce sera elle qui me les fera et le ravitaillement va arriver à mon banc sans que je bouge. Elle est trop géniale ma petite femme. Il faut savoir qu’elle vient de se faire 1h30 de route pour venir me voir et qu’elle va en faire autant pour repartir. Elle m’accompagne quelques centaines de mètres au redémarrage, après m’avoir strappé le dos (frottements du sac), les mains (frottements des gants des bâtons). Je me suis strappé, seul, les pieds et j’ai changé les chaussettes (encore). J’enquille la montée en forêt vers le refuge de la Glère. Un concurrent du 220 me rattrape et demande de mes nouvelles. Visiblement, sans aller jusqu’à de grands zig zag, je ne marche plus très droit. J’ai en effet un petit coup de mou. Je m’allonge sur la piste 4×4 pour me reposer. Des cyclistes prennent de mes nouvelles puis c’est un 4×4 (qui ne s’attendait surement pas à me voir là) qui me réveille. Je repars. Après la forêt c’est reparti pour le cagnard. La piste 4×4 continue et serpente longtemps avant d’atteindre le refuge de la Glère. Et moi je serpente encore plus longtemps. C’est long et difficile. J’éprouve pas mal difficultés pour poursuivre, et pourtant les pourcentages ne sont pas très élevés.

Refuge de la Glère 90km 5877D+ 27h22 (3h d’avance sur BH)

Il fait vraiment très chaud. Nous donnons sur un petit lac fort joli. J’essaye de ne pas trainer. Je refais le plein d’eau e je mange bien. On m’annonce qu’il n’y a pas à manger au prochain (Aygues Cluzes). C’est le début de l’enfer ici. J’ai déjà mis 3h22 pour faire 9km. Je vais mettre 6h pour faire les 9 suivants. S’annoncent deux ascensions et deux descentes pentues au possible, agrémentées de pierriers, voire de chaos. C’est un décor désertique, minéral, qui nous attend. Quelques lacs viennent briser la monotonie de ces milliers de rochers qui nous font croche-pattes et crocs en jambes. Comme depuis le début j’essaie de mouiller régulièrement la casquette. Je me lave le visage afin que la transpiration se fasse bien sans être gênée par le sel qui s’accumule dans les pores de la peau. Les compagnons d’errance changent au gré des retours ou de mon avance. Une avancée désespérante. La montre GPS m’indique rarement plus de O.OOkm/h. Je fatigue moralement. Et dans ces cas là le corps montre également qu’il en a marre. « Si cerveau le veut, ça ça exécute. Si cerveau le veut… » (Roger Lemerre en 1998 : Les Yeux dans les bleus) Purée j’en bave. En fait non. J’en bave grave sa mémé (comme dirait Laurence). C’est interminable. Je vois la moyenne qui n’avance pas. Je me demande comment sortir. Je me demande quand je vais sortir. Je suis tant qu’assez heureux d’avoir pris de la marge sur les BH. Je savais que le parcours jusqu’au refuge de la Glère n’était pas à mon avantage, mais j’espérais que la suite serait plus simple. Raté. J’en viens à me dire que je ne sortirai pas de cet enfer. Le Mordor comme je l’ai appelé. Je dépasse des âmes en peine, errant dans ce chaos, dormant sur les pierres. Je ne peux compter les dizaines de fois où mon équilibre a failli se briser sur ces pierres tranchantes, basculantes. J’ai sauté en bas de rocher, sur d’autres rocher, comme un cabris (un cabris de 90kg qui vient de faire presque 100 bornes donc avec l’élégance et la grâce d’un buffle). Et c’est dur. C’est dur parce que tu dois réadapter ta foulée. Les petits pas qui économisent l’énergie, les muscles et les tendons ne sont ici d’aucun secours. Il faut escalader, grimper, sauter. Les bâtons sont inutiles. Le corps se fatigue plus vite, l’esprit se désespère. La chaleur est intense. La montée est une souffrance, la descente un purgatoire et le plat est un enfer. « Putain je ne vais jamais sortir de là » (en fait je pense bien sortir mais quand ?)

Une des plus belle vue du Mordor. C’est joli mais de loin. De très loin. En fait quand on n’y est pas.

Aygues Cluzes 98ème km, 6640D+

Après 6h de crapahute j’aperçois la cabane d’Aygues Cluzes. Cela fait déjà 13km que nou sommes à plus de 2000m d’altitude. Il en reste encore 12 avant de redescendre en dessous de cette altitude fatigante. Depuis 2 ans déjà (précédent GRP, le Tour du Néouvielle 43km), je pense à retrouver du monde. Le 80km nous rejoins à cet endroit. Ils sont 15 rapvistes sur cette course. Et là ! Ô joie ! 3 vestes RAPV. J’appelle presque tous les noms qui me viennent en tête. Finalement c’est « RAPV ! » qui les fait se retourner vers moi. Ils partaient : Juju, Sylvain et Yo. J’en aurais pleuré de joie. Je crois bien qu’eux aussi. Juju est dans le dur. Il ne mange plus rien depuis un moment. Il repart devant nous espérant que nous le rattrapions. Je refais un petit plein d’eau (il n’y en a plus sur le ravito). 1L d’eau. Ça fait du bien parce que je n’ai plus rien depuis 3km. Soupe rapide, deux trois tucs et du jambon et GO ! Ils m’attendent. Je mène l’allure dans l’ascension de la Hourquette de Nère (100km, 6949D+, 33h54 de course), puis dans la descente. Ça gaze. Yo me dit qu’il a du mal à me suivre. Je le soupçonne d’exagérer sérieusement. On enchaine en descendant le Néouvielle vers le lac de l’Oule.

Mes jambes ont besoin de repos. Sylvain et Yo partent devant. Je sais grâce à eux que Romain n’est pas loin derrière. Les pauses « jambes » sont de plus en plus nombreuses. La nuit est revenue. A la faveur d’un sentier en balcon au-dessus de l’Oule je m’assois une nouvelle fois sur le bord. Une file indienne de frontale arrive. Je m’apprête à repartir derrière elles.

« Oh Pierre ! » Et voilà le retour de Romain. Il vient d’enchainer le Néouvielle (43km) et le Tour de Lacs (80km). Un nouveau gros rythme (4,5km/h) pour arriver en discutant au restaurant des Merlans.

Merlans 108km, 7147D+, 36h26 (3h34 d’avance sur BH)

Une accolade avec Romain, suivi d’une photo et puis c’est le ravito. Je ne remplis plus que la poche à eau. Et cette fois je prends un peu de sucré. A la sortie Romain repart devant. Il va mieux que moi. Je reçois un appel d’Angéline et je m’arrête pour me couvrir. J’ai très froid soudainement. Je sais depuis le début que rien ne pourra m’arrêter. Maintenant j’en ai la certitude. Le col du Portet se monte agréablement. Il reste 12km de descente, 1400 mètres de dénivelé négatif. La douleur dans les cuisses et les mollets est omniprésente. Je ne fais plus que marcher, espérant en garder suffisamment pour courir les 2 derniers km sur le plat entre Vignec et Vielle Aure. Je sais qu’il reste une vilaine descente à franchir entre le cap de Pède et Soulan (600D- en moins de 2km). Je me préserve. Les pauses se font de plus en plus nombreuses. Je prends une barre sucrée récupérée au ravito des Merlans. Ca descend encore et encore ; les coureurs me doublent par dizaines. Et ça descend encore. Enfin cap de Pède. Petits pas, descente en courant. Yes ça répond bien. Je prends un gel sucré. En voulant le remettre je rate ma poche. Un concurrent m’interpelle. Je m’arrête pour le remettre. Et là… « OHHHH Pierre ! » Voilà Mathieu qui arrive. Il est très mal en point. Je descends sans bâtons, lui amorti chaque pas. En revanche j’ai besoin d’observer une pause de temps en temps. Nous terminons ensemble. Mathieu s’étonne de mon état de fraicheur apparent. Mais j’ai mal partout. J’ai hâte de terminer. Hâte de terminer pour ne plus avoir mal. Nous enfilons Soulan, Vignec et entamons le chemin le long de la Neste. Les pancartes annoncent l’arrivée : 2000m, 1800m,… C’est fini. Angéline et Gérard sont là pour l’arrivée. 40h36. 3h24 avant la fin officielle. J’arrive dans l’air d’arrivée et récupère mes cadeaux de finisseurs et là… Là je ressens les douleurs se multiplier. Je sens leur intensité se multiplier. La tête à enfin annoncé au corps que c’était fini. Ouhlala ! Les pieds me font horriblement souffrir. J’ai senti la première ampoule arriver à 5km de la fin. Sur 122 ! EN fait je n’ai pas d’ampoules. J’ai les pieds brûlés. En enlevant les chaussures ils vont gonfler avec le bas ud mollet. Le bas du mollet gauche me fait sentir une sorte de douleur bizarre. C’est dur comme du béton depuis 20 à 25km. Guillaume J. une tendinopathie ? Enfin c’est fini.

L’ultra de la chance

Qu’est-ce qui m’a permis de venir à bout de ces 122km ? Angéline. Elle m’a supporté. J’ai gâché ses vacances. Je ne pouvais pas ne pas aller au bout. Gérard et Maryline qui sont venus garder Mathilde avec Angéline pendant ces vacances. Des conseils, entendus, écoutés, appliqués. De la bienveillance de David, de Micka, de Guillaume. Une bonne prépa. Et puis des barrières horaires larges, plus larges que sur d’autres ultra. Et puis c’est une course sur laquelle j’avais beaucoup de repères psychologiques, de béquilles mentales… Le 43 du Néouvielle m’avait donné des repères. Et les passages à Gèdre, Gavarnie, Gèdre, Luz, Barèges, autant de lieu qui résonnent des cris de mon enfance. Toutes ces vacances au ski ont payé. La chance m’a aidé aussi. Je tombe quand même sur trois relais en fin de course. Sylvain et Yo, alors que je sors d’une épreuve mentale et physique conséquente dans le Mordor ; Romain avant les Merlans puis Mathieu dans la dernière descente. C’est vraiment génial. Enfin chaque copain qui laissait des messages en suivant ma course. En solitaire mais pas isolé.

On va finir avec Matrix : « Il y a une différence entre connaître le chemin et arpenter le chemin » (Morphéus).